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AA Victoria
Rencontre avec Éric Topona Mocnga, journaliste à la rédaction en français de la Deutsche Welle (Média international d’Allemagne) et auteur de « Misère et grandeur de la liberté d’informer »
Présentez-nous votre ouvrage.
Le 6 mai 2013, je fus mis sous mandat de dépôt à la prison d’Amsinené de N’Djaména (Tchad), pour « Complot et atteinte à l’ordre constitutionnel ». Grâce à la mobilisation précieuse et incessante de mes confrères de la presse, nationale et internationale, des organisations de défense des droits humains, de mes avocats, de ma famille et de mes amis, je pus recouvrer la liberté le 18 août 2013.
Le procès au terme duquel je fus libéré fut moins celui d’un prétendu « complot » que celui d’une « atteinte à l’ordre constitutionnel », plus factice que réel. Ce fut, ironie du sort, le procès de l’arbitraire et de l’injustice. L’histoire malheureuse que j’ai vécue au Tchad fut donc le prétexte de ce livre, « Misère et grandeur de la liberté d’informer », paru le 30 octobre 2019.
En réalité, on voulait trouver des raisons pour justifier mon arrestation en m’accusant d’être en contact avec Makaïla Nguebla, un blogueur tchadien qui vivait en exil à Dakar (Sénégal). Pour cela, ma boîte mail a été piratée et on me trouva un texte censé être ma réponse à cet activiste tchadien, texte qui appellerait la jeunesse tchadienne à prendre les armes contre le régime d’Idriss DébyItno. Je n’ai bien entendu jamais échangé un mail avec Makaïla Nguebla allant dans ce sens. C’était de la pure affabulation.
Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Un peu plus de six années ont passé depuis ma sortie de prison. Il m’a fallu prendre un indispensable recul, engager un travail de reconstruction personnel et professionnel pour revenir sur cette parenthèse sombre et dramatique de ma vie de journaliste et d’homme. Certains confrères, qui ont subi les mêmes avanies que moi, ont parfois choisi le silence ou ont pris la décision stoïque de les assumer, la mort dans l’âme, une fois renversé le rouleau compresseur de l’arbitraire. Le temps m’a semblé en effet venu de dire ma gratitude à toutes celles et tous ceux qui m’ont rendu ma liberté et ont permis mon retour dans le journalisme qui est ma passion et le métier de ma vie. D’autre part, la liberté d’information demeure menacée dans le monde et de nombreux confrères continuent de payer un lourd tribut au devoir d’informer. Comment maintenir sous le boisseau ce parcours de vie ?
À quel lecteur s’adresse votre ouvrage ?
« Misère et grandeur de la liberté d’informer » s’adresse aux professionnels de la communication du monde entier, aux militants et défenseurs des droits de l’homme, bref, à tous ceux qui sont épris de justice, de démocratie et ceux qui sont mus par le respect de la liberté de la presse et des droits de l’homme dans le monde. Il est destiné enfin et surtout à mes confrères tchadiens, ceux des médias publics, pour leur permettre de se libérer de l’autocensure qui les étouffe et les empêche de faire du journalisme professionnel, alors même qu’officiellement on clame qu’il n’y a pas de censure à la Radio et Télévision nationale.
Mon livre n’est ni un pamphlet politique ni un avis inspiré par un parti politique contre le régime tchadien. Je m’adresse ainsi à tous ceux qui seraient tentés de faire un raccourci par rapport à la position politique de mon père, Célestin Topona Mocnga, qui milite depuis 1992 dans un parti politique de l’opposition considéré parmi les plus virulents contre le pouvoir tchadien. Il s’agit de l’Union nationale pour le développement et le renouveau dirigé par Saleh Kebzabo, un autre journaliste, comme mon père, qui occupe le poste de Premier vice-président de cette organisation politique. Il n’en est absolument rien ! Je me considère comme un libre penseur qui milite cependant activement pour la défense des droits humains, ce qui me semble en adéquation avec ma profession de journaliste qui œuvre pour la justice sociale.
Quel message avez-vous voulu transmettre à travers ce livre ?
Mon souhait est de voir ceux de mes confrères qui auront lu cet ouvrage et auront connu sous d’autres latitudes les affres de la répression contre la liberté de la presse témoigner pour une presse toujours plus libre et mieux protégée. Le plaidoyer mené dans cet ouvrage vise à prendre conscience de ce grand danger auquel sont exposés les professionnels des médias, sans lesquels la vie serait tout simplement insipide et gravement menacée. Témoins de l’histoire qui se passe sous leurs yeux, les journalistes son mus par le devoir d’être sincères dans l’exercice de leur travail afin de participer modestement à l’avènement de la vérité sociétale. Le présent ouvrage fut, au départ, une tentative de rétrospective sur un métier qui est à la fois, pour moi, une vie et une passion. Toutefois, écrire ce n’est pas seulement se raconter, c’est aussi témoigner.
Si le livre « Misère et grandeur de la liberté d’informer » a une allure indiscutablement autobiographique, c’est parce que j’ai voulu faire de mon témoignage un plaidoyer pour la liberté, la liberté d’expression, la liberté d’informer. Pour m’être vu privé arbitrairement et illégalement d’une centaine de jours de ma vie d’homme libre, dans une existence que nous savons tous courte et fragile, le moment semblait venu pour moi de témoigner au sujet de ce drame, en hommage à ceux de mes confrères qui ont laissé leurs vies sur les chemins glorieux et périlleux de la quête de l’information pour l’édification de la conscience humaine.
Où puisez-vous votre inspiration ?
Je suis journaliste avec, à la base, une formation en droit et en sciences politiques. Je m’inspire donc de mes diverses lectures pour améliorer mon écriture. Pour la rédaction de cet ouvrage, je me suis inspiré de mon expérience malheureuse au Tchad, mon pays.
Quels sont vos projets d’écriture pour l’avenir ?
Après la parution de ce premier livre, j’ai d’autres projets d’écriture que je vais matérialiser dès que j’en aurai la possibilité au regard de mes activités journalistiques très denses.
Un dernier mot pour les lecteurs ?
Celles et ceux qui nourriraient l’ambition de faire carrière dans la presse, je leur dirais de ne pas se laisser gagner par le désespoir, à l’issue de la lecture des quelques pages sombres du présent ouvrage. « N’ayez pas peur », serais-je tenté de leur dire. Les peines du métier de journaliste méritent d’être vécues, car le bonheur du travail bien fait est bien plus grand encore. Il s’agit, pour tous les citoyens du monde, de lutter pour l’enracinement de la démocratie qui ne peut se faire sans une presse libre et responsable.